Impliquer les citoyens dans la transition énergétique : Zoom sur deux modèles coopératifs
Valentin VERMEULEN (P10)
Après trois ans passés dans le conseil en énergie et environnement chez I Care & Consult, où il a notamment mené différentes études d’envergure nationale sur les filières éolienne et solaire, Valentin rejoint début 2018 le fournisseur coopératif Enercoop pour en coordonner l’approvisionnement éolien et photovoltaïque, et poursuivre son engagement pour un paysage énergétique plus juste et durable.
Suzanne RENARD (P08)
Après des stages longs dans l’énergie à l’international et quatre ans passés à GRDF, elle rejoint Enercoop en 2016 pour construire concrètement la transition énergétique citoyenne. Elle prend ensuite des missions à Energie Partagée pour soutenir des projets de biogaz inscrits dans leur ter- ritoire à travers de l’accompagnement et du financement. Elle est également administratrice d’Enercoop depuis 2017.
Aujourd’hui la majorité des citoyens français considèrent que la transition énergétique n’est pas à la hauteur des enjeux1, ne va pas assez vite2 et est mal expliquée : c’est la conclusion de la Commission particulière chargée du Débat public sur la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)3.
Nos modes de vie induisent un dérèglement climatique qui s’accélère. Des atteintes majeures de la biodiversité sont avérées4. Dès lors, un changement de paradigme nous paraît nécessaire. Il nous amène à vouloir que la consommation d’un bien de base comme l’énergie ait non seulement un impact limité, mais qu’elle soit véritablement un levier pour des transitions et des changements de comportements comme de politiques publiques.
Des actualités comme le mouvement social déclenché à l’automne 2018 par la hausse des prix des carburants, ou comme le « manifeste pour un réveil écologique » signé par 30 000 étudiants de grandes écoles en octobre dernier5, ou encore la dynamique d’Extinction Rebellion, nous confortent dans l’urgence de cette transition et sa pertinence aux yeux de la société.
Des modèles coopératifs et citoyens ont émergé depuis plusieurs années, qui impliquent les citoyens et les consommateurs dans leurs manières d’agir, dans leur gouvernance et leurs décisions, dans leurs modèles économiques. Dans le secteur de l’énergie, Enercoop et Énergie Partagée en sont deux exemples. Elles expérimentent et prouvent au quotidien qu’une telle implication est un levier majeur de démultiplication de la transition énergétique et de réponses à nos enjeux de société actuels : énergie, environnement, prises de décision. Dans la suite de cet article, vous en découvrirez la diversité des « pourquoi » et des « comment ».
Enercoop, énergie Partagée : acteurs de référence pour une transition énergétique citoyenne
Enercoop est un fournisseur d’électricité 100 % renouvelable et coopératif créé en 2005 à l’initiative de pionniers des énergies renouvelables (hespul, Indiggo), d’acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire (Biocoop, la Nef, Garrigue) et d’ONG (les Amis de la Terre, Greenpeace). Acteur singulier de l’énergie, Enercoop est un réseau de coopératives organisé autour de la fourniture d’électricité renouvelable et de la réappropriation citoyenne des enjeux énergétiques. Son offre d’électricité verte, la première à s’être construite autour de contrats directs avec les producteurs, est unique dans le paysage énergétique français. En chiffres, à fin 2018, Enercoop c’est :
- 70 000 clients-consommateurs, dont 7 500 professionnels et 200 collectivités
- 40 000 sociétaires : consommateurs, producteurs, salariés et partenaires
- 180 salariés
- 11 coopératives et des groupes moteurs par villes pour une action locale
- 240 producteurs d’électricité renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque, biomasse)
- 340 GWh d’électricité renouvelable achetée à nos producteurs en 2018, pour 337 GWh livrés à nos consommateurs (objectif 100 % contrat direct atteint)
Plus grosse société coopérative d’intéret collectif de France (SCIC), Fellow Ashoka6 depuis 2010, Enercoop est un acteur de référence de l’économie sociale et solidaire et de ses modèles de demain. Elle fait ainsi partie depuis juin 2018 des 22 « pionniers » du programme French Impact du gouvernement.
énergie Partagée essaime, accompagne et finance des projets locaux et collectifs de production d’énergie renouvelable. Pour accomplir ces missions, le mouvement s’organise depuis 2010 en deux structures complémentaires : une association de promotion et d’animation et un outil d’investissement citoyen. l’association fédère 175 structures adhérentes et est la tête d’un réseau national de 11 réseaux régionaux. Elle a accompagné 300 projets de production portés par des collectifs citoyens et/ou des collectivités locales, à travers leurs phases d’émergence, de développement et/ou d’exploitation. l’outil d’investissement est sur une dynamique de collecte constante auprès de souscripteurs particuliers, avec aujourd’hui 20 millions d’euros souscrits par 6 000 personnes. Cela a déjà permis 68 projets, produisant plus 300 GWh/an d’énergie. Énergie Partagée et les projets citoyens d’énergie renouvelable participent d’une dynamique nationale en plein essor, soutenue notamment par l’Ademe et promue par ailleurs par la Caisse des Dépôts et des partenaires privés à travers le dispositif EnRCiT.
Les sociétaires du parc éolien de La Jacterie (crédit photo : Énergie Partagée)
L’énergie la plus propre est celle que nous ne consommons pas
Nos actions s’ancrent dans le triptyque : sobriété, efficacité, production renouvelable.
La production d’énergies renouvelables et leur promotion ne sont pertinentes que si elles vont de pair avec une maîtrise de l’énergie : la meilleure énergie reste celle qu’on ne consomme pas. Mais comment, en tant que fournisseur d’énergie, encourager ses clients à moins consommer lorsque tout son modèle économique et les profits générés dépendent de cette consommation ? la réglementation française, à travers notamment le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), a introduit des outils contraignants pour forcer la promotion de l’efficacité énergétique auprès des consommateurs d’énergie. Malheureusement ces outils restent peu opérants7 et n’encouragent pas à la sobriété. On connaît également trop bien les dynamiques de l’effet rebond, lorsqu’une amélioration de l’efficacité énergétique ou de la facture conduit à consommer plus pour davantage de confort.
Le modèle coopératif, en posant un principe statutaire de lucrativité limitée et une redistribution des bénéfices vers un objet social, constitue une des réponses possibles pour sortir de ce cercle vicieux. Ainsi l’action de l’entreprise n’est plus guidée par une maximisation des bénéfices, ce qui libère la possibilité de promouvoir des actions de maîtrise de l’énergie pour le sens et la cohérence qu’elles génèrent.
D’autres réponses sont l’implication des citoyens dans les projets d’énergie renouvelable de leur territoire, leur sensibilisation à la non-soutenabilité de nos consommations, ou encore l’acceptation à payer un prix de facture plus élevé car finançant des externalités positives majeures : ce sont autant de leviers qui agissent sur les aspects psycho-sociaux de la consommation d’énergie.
Enercoop a ainsi mis en place un outil participatif pour guider les ménages dans leurs économies d’énergie (le « Wiki des économies d’énergie »), et propose un accompagnement en six semaines pour maîtriser sa consommation (les formations « Dr Watt »). Une solution de lutte contre la précarité énergétique et de micro-don sur facture a également été créée : Énergie Solidaire.
La réflexion sur la maîtrise de l’énergie peut aussi être intégrée dès l’amont. la maîtrise locale des retombées économiques permet en effet de décider leur affectation, en recherchant une cohérence globale. Par exemple, les coactionnaires du parc éolien citoyen de la Jacterie, soutenu par Énergie Partagée, ont décidé d’allouer une partie des bénéfices au financement des actions de maîtrise de l’énergie sur le territoire (projet dédié de l’espace info-énergie, actions de sensibilisation lors de journées des associations, financement d’actions de solidarité contre la précarité énergétique).
Impliquer les territoires dans une transition énergétique durable économiquement
La transition énergétique c’est un changement des comportements de consommation mais aussi un changement du paysage énergétique au service d’un développement économique local. les énergies renouvelables, très décentralisées, peuvent constituer des nouvelles sources de revenus importantes pour les territoires. Elles permettent également un renforcement de leurs capacités à agir, à condition que les flux financiers et les capacités de décision soient relocalisés, au-delà des simples retombées fiscales des projets.
À La Chapelle-Montreuil (Mayenne), le parc éolien est un projet de territoire.
Enercoop et Énergie Partagée accompagnent cette revitalisation de l’économie :
En soutenant les acteurs locaux qui souhaitent développer en propre ou co-développer avec une société classique des projets d’énergie renouvelable : c’est l’action même d’Énergie Partagée sur les 300 projets qu’elle accompagne. À la Chapelle-Montreuil (Mayenne), suite au démarchage d’un développeur éolien en 2006, la mairie s’est tournée vers Énergie Partagée et Sergies pour que ce parc éolien devienne un projet de territoire. le parc de trois éoliennes est mis en service en 2017, sans aucune opposition durant l’enquête publique ni recours. 100 % du capital est détenu par la SEM locale Sergies et par les citoyens à travers Énergie Partagée.
La carte des 300 projets citoyens est à découvrir sur Énergiepartagee.org
En favorisant la prise de participation des citoyens et des collectivités locales au capital des projets d’énergies renouvelables, ce qui leur permet d’orienter le paysage énergétique de leur territoire et de percevoir des dividendes sur toute la durée de vie du projet. C’est le sens même du financement des fonds propres des projets par de l’épargne citoyenne. Sur certains projets, des citoyens et acteurs locaux investissent en direct ou à travers des clubs d’investisseurs. Sur d’autres projets et parfois en complément, Énergie Partagée mutualise ces financements ce qui permet de foisonner les risques et de faciliter la gestion des souscriptions (pas de blocage de l’épargne).
En apportant des tarifs de soutien pour des projets de territoire ambitieux, portés par des collectifs citoyens. le projet solaire citoyen des Survoltés d’Aubais dans le Gard est un parc de 250 kW géré et financé entièrement par des citoyens et des collectivités locales. le projet, accompagné en amont par la coopérative locale Enercoop languedoc Roussillon, vend son électricité et bénéficie d’un tarif de soutien Enercoop sur 30 ans. Énergie Partagée est venu compléter le financement citoyen en apportant 50 000 euros. Une partie des bénéfices sera réinvestie dans de nouvelles actions en faveur de l’environnement.
Inauguration du parc solaire des survoltés d’Aubais (crédit photo : Énergie Partagée)
En renforçant localement les acteurs indépendants et la dynamique inter-acteurs. la facture Enercoop permet de soutenir économiquement des petits producteurs renouvelables français, mais aussi de soutenir les dynamiques de vie coopérative : sensibilisations sur les enjeux énergétiques et environnementaux, évènements associatifs ou de l’économie sociale et solidaire, etc.
Inauguration du parc solaire 100 % coopératif de Montéchut, porté par les sociétaires de la coopérative Enercoop Midi-Pyrénées
(crédit photo : Enercoop)
La transition énergétique ne réussira que si elle est articulée avec une transition environnementale plus large
Ce à quoi nous aspirons, c’est une société et des modes de vie pérennes pour les générations futures. la transition énergétique n’est pas un but en soi, elle fait sens en étant articulée à d’autres secteurs en transition : alimentation et agroécologie, réduction de nos déchets, mobilité douce, etc.
Des outils et modes d’actions responsables (finance verte, information transparente et indépendante, informatique responsable) sont pour cela également utilisés.
Pour faire exister ces articulations, Enercoop et Énergie Partagée s’imposent tout d’abord à elles-mêmes des exigences fortes et transparentes au travers de leurs Chartes respectives. Ces chartes guident l’analyse des sites d’implantation des unités de production, de leurs impacts environnementaux, de la responsabilité sociale et citoyenne de ces projets.
Enercoop et Énergie Partagée constituent également des relais de prise de conscience et d’action, en mettant en place des synergies avec d’autres structures de la transition :
Partenariat avec le réseau Biocoop pour la promotion d’une agriculture biologique et locale :
- Communication croisée pour des achats plus responsables
- Installations photovoltaïques du magasin Biocoop du Mantois, l’un des deux premiers producteurs à bénéficier de l’obligation d’achat d’Enercoop, et de l’investissement citoyen via l’outil financier Énergie Partagée
Partenariats pour la promotion de l’éco-mobilité :
- Communication conjointe entre Enercoop et le site de covoiturage libre Mobicoop
- Une partie des recettes du parc éolien d’hyrôme en Maineet-loire – cofinancé via Énergie Partagée et soutenu financièrement par Enercoop – permettra de financer un service d’autopartage de véhicules électriques pour le territoire d’accueil très rural et donc dépendant à la voiture
Partenariats avec d’autres acteurs de la transition pour porter un plaidoyer fort :
- Collectif pour la transition citoyenne, qui organise par exemple la Fete des possibles
- Collectif pour l’énergie citoyenne, présent notamment sur des propositions politiques
Partenariats avec d’autres acteurs engagés, comme par exemple :
- lilo, le moteur de recherche engagé qui financent des projets sociaux et environnementaux (créé par Clément le Bras, P10)
- zero Waste France, association nationale sur l’évolution de la production et de la gestion des déchets
Repenser les modèles économiques et de gouvernance
Une pluralité de modes d’implication et un abandon de la finalité lucrative pour une implication sincère envers un objet social partagé
S’assurer que les intérêts de l’ensemble des parties prenantes d’un projet de société soient entendus et préservés, indépendamment du poids économique de ces parties grâce à des structures juridiques (SCIC) et des Conseil d’administrations représentants tous les intérets ; soutenir localement des bassins d’emplois, de compétences et de confiance grâce à des démarches de circuit-court ; etre transparent sur ses actions et rendre des comptes en assemblées générales ; travailler en réseau avec les autres acteurs de la transition ; sensibiliser et renforcer les compétences et la capacité à agir des acteurs locaux .. toutes ces actions et bien d’autres créent les conditions d’implication des citoyens pour construire ensemble un monde possible et soutenable.
Dans tous les secteurs économiques, dans toutes les régions de France des modèles coopératifs et citoyens font la preuve de leur efficacité et de leur attractivité. Nous vous encourageons à vous en rapprocher ! ■
1 71 % des français d’après l’enquête IFOP de novembre 2018 réalisée pour le collectif « Les Acteurs en Transition Énergétique » ; 64 % d’après une enquête d’Harris Interactive de décembre 2017
2 58 % des français interrogés estiment que la France est plutôt en retard en matière de transition énergétique, d’après l’enquête IFOP de novembre 2018 (cf. note 1)
3 www.actu-environnement.com/ae/news/infographie-transition-energe- tique-francais-g400-31733.php4 (juillet 2018)
4 Résultats du rapport publié le 6 mai 2019 par l’IPBES (plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques)
5 pour-un-reveil-ecologique.fr
6 Fellow Ashoka : Ashoka, organisation pionnière du secteur de l’entrepreneuriat social, sélectionne et accompagne les individus qui mettent leurs qualités entrepreneuriales au service de la résolution d’un problème sociétal à grande échelle
7 www.greenunivers.com/2019/03/lademe-confrontee-a-la-difficulte- devaluer-les-cee-199928/
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